samedi 24 juin 2017

La paix en Colombie : « C’est maintenant ou jamais »

Guérilleros des FARC

La Colombie entre dans la dernière ligne droite de son processus de paix et du plan de désarmement des FARC, nous allons donc analyser dans cet article les points clés qui pourraient assurer un succès total à cette entreprise très importante pour la Colombie et les pays voisins.


Selon le calendrier établi par les acteurs du processus de paix, cette semaine qui s’achève marque la dernière phase du désarmement des quelque 7 000 guérilleros des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, marxiste). La guérilla la plus ancienne du monde (53 ans de lutte armée) est censée terminer de rendre toutes ses armes à l’ONU d’ici à deux ou trois jours pour respecter le cahier des charges du processus de paix, signé en novembre 2016. Ce processus de paix devrait amener les FARC à une réintégration dans la société civile, ainsi que la possibilité de former un groupe politique.

Je ne me considère pas un spécialiste du conflit colombien, mais cela fait vingt-sept ans que je suis ce vieux conflit avec un vif intérêt. Ma passion pour ce merveilleux pays qu’est la Colombie avait commencé en 1990, quand je finissais mes études secondaires à Cuba et plus précisément à la suite du procès très médiatisé du général cubain Arnaldo Ochoa, accusé d’être un baron de la drogue au service des cartels de drogue colombiens. En plus des journaux cubains, j’étais abonné à l’hebdomadaire français Le Journal des enfants, qui couvrait bien la situation du conflit colombien. Je me considère donc un analyste averti sur ce sujet.

Quels sont les dangers qui pourraient tuer le processus de paix avec les FARC ?


Le conflit colombien il faut l’analyser sous trois volets étroitement liés : le volet politique, le trafic de drogue et la culture de violence qui mine le pays.

Ces trois aspects sont indissociables et sont des facteurs clés de la complexité du processus de paix, car ils touchent toutes les composantes de la société colombienne. Vouloir instaurer la paix en Colombie sans assainir les milieux durs de ces trois volets ne réussira jamais.

La classe politique colombienne est-elle prête à ouvrir ses portes aux FARC?


La Colombie étant pratiquement la démocratie pluripartiste la plus ancienne de la région, est aussi la société la plus politisée du continent. Rien qu’à voir l’ardeur des débats de la classe politique, la passion démontrée lors des campagnes électorales et aussi la participation active des populations lors des scrutins, on comprend combien le poids de la scène politique pèse sur le quotidien des Colombiens. D’ailleurs, la victoire du « NON » lors du référendum sur l’accord de paix en octobre 2016 a montré comment les Colombiens ne badinent pas avec l’importance du statut politique. Pourtant ce référendum se voyait comme le dernier rempart d’un processus naturel qui transformerait les FARC d’une organisation subversive en une force politique censée contribuer à l’émergence d’une Colombie nouvelle. Les Colombiens voient plutôt les FARC comme des criminels avec qui il n’y a pas de raison de faire la paix.

Ce sentiment est aussi influencé par un phénomène d’opposition à la politique globale du président Santos, qui est mené par son prédécesseur et ancien bras droit devenu l’ennemi, le sénateur Alvaro Uribe. On a l’impression que ce processus de paix avec les FARC est bien plus accueilli et populaire à l’étranger qu’à l’intérieur même de la Colombie.

Les Colombiens doivent comprendre qu’il n’y a pas d’autres alternatives que de reconnaître le statut politique légal des FARC. Avec ou sans la paix les FARC constituent déjà une vieille organisation idéologique et politique. C’est une organisation très structurée qui combat l’État colombien depuis cinquante-trois années. C’est un état dans un état. Ne pas le reconnaître c’est faire une obstruction cupide du processus naturel de paix en Colombie.

Los présidents Manuel Santos(Gauche) et Raúl Castro(centre), avec le Commandant Timochenko lors de la signature du traité de paix. La Havane(Cuba).
Les grands cartels de drogue ont été tous décimés par l’action des forces de sécurité colombienne. Les groupes paramilitaires autrement invincibles comme l’AUC et leurs dérivés furent aussi démantelés. Leurs dirigeants furent soit assassinés ou extradés vers les États-Unis. Mais du côté des FARC, leurs structures sont restées intactes sous les ordres de leur chef  actuel Timoleón Jiménez, alias, « Timochenko ».

L’intégration des FARC comme parti politique est nécessaire et cette initiative devrait s’étendre aussi aux guérilleros de l’ELN. En effet, cela ne sera pas utile de faire la paix avec les FARC tout en laissant ses alliés du ELN actifs. Ces derniers vont simplement récupérer les territoires laissés vacants par les FARC, leurs dissidents et membres actifs qui ne sont pas contents de la décision de se démobiliser.

Si nous voulons reconstruire une nation profondément déchirée par une longue guerre civile, qui a déjà fait 260 000 morts et 60 000 disparus, nous devons faire table rase sur le passé pour reconstruire des relations sur de nouvelles bases et donc tirer un trait sur le passé conflictuel en Colombie.


Le Narcotrafic en Colombie



Depuis l’époque des années 1980, les cartels de Medellín et de Cali produisaient à eux seuls près de 80% du trafic mondial de la cocaïne. Aujourd’hui cette production est légèrement en baisse (70%), mais reste toujours importante pour influencer l’économie colombienne. La facilité et la rapidité de faire des gros bénéfices a toujours fait du trafic de drogue un produit incontournable qui alimente les réseaux criminels et mêmes d’autres secteurs économiques de la Colombie. Dans le souci d’entretenir l’effort de guerre continu, les FARC aussi devraient être impliqués dans ce business juteux d’une manière ou d’une autre.

Le narcotrafic a toujours été le nerf de la guerre en Colombie, depuis que Pablo Escobar, Rodriguez Gacha, Carlos Lehder et les frères Ochoa Vasquez ont montré au monde entier que l’on pouvait devenir milliardaire avec un simple claquement des doigts. Combattre ce fléau est devenu donc synonyme de condamnation à mort en Colombie. Voilà pourquoi je trouve que le geste courageux des dirigeants des FARC de signer les accords de la Havane est sincèrement héroïque. J’ai un respect religieux pour le Commandant Timochenko pour avoir pris de tels risques pour désarmer son mouvement. 

Les soldats colombiens mènent une lutte acharnée pour éradiquer les plantes de la coca, mais son nombre ne cesse de se multiplier.


Si le commun des mortels colombien pouvait réaliser combien de risques ce dirigeant rebelle et ses collègues du bureau politique ont pris pour signer cet accord de paix historique, les gens verront les FARC sous un autre angle. Le gouvernement colombien et l’ensemble de la société civile et militaire de ce pays doivent se surpasser pour combattre et vaincre ce fléau de la drogue, qui est devenu actuellement la première source du conflit.

La culture de la violence en Colombie

Des membres de gang de rue de Medellín.
La Colombie a une longue tradition de culture de la violence, qui s’alimente elle-même. L’obstacle principal à ces accords est que les acteurs de la violence dans le pays ne se limitent pas aux FARC. L’ELN [armée de libération nationale, guévariste], la deuxième guérilla de Colombie après les FARC, a refusé de participer aux accords de paix initiaux, bien qu’elle soit, maintenant, en négociation de son côté avec le gouvernement.
Mais ce sont surtout les bandes mafieuses qui posent problème. Elles investissent les territoires ruraux laissés derrière par les FARC, notamment la côte pacifique colombienne. Mêlés à des trafics de drogue, des vols de voitures ou encore en exploitant illégalement des minerais, ces groupes ont des intérêts privés économiques et ne sont aucunement politisés, contrairement aux FARC ou à l’ELN. 

Ces groupes de délinquants agissent par appât du gain, mais ils parviennent à s’afficher comme de véritables opposants au processus de paix. Le plus célèbre et redoutable de ces groupes est le Clan du Golfe, autrement appelés les Urabeños. Il est dirigé par celui qui est considéré comme le dernier grand parrain de la mafia colombienne, l’impitoyable Dairo Antonio Usuga, alias Otoniel. Depuis 2015, l’armée et la police colombienne ont déployé 1500 hommes, bien entraînés, pour le capturer dans la région frontalière du Panama en vain.

Le chef de la police anti narcotique colombienne, José Mendoza (2e-D), patrouille pour distribuer des brochures offrant des récompenses pour des informations conduisant à la capture du chef et des membres du cartel du Golfe à Apartado, département d'Antioquia, le 31 mai 2017
Pour compléter ce volet, il est important de mentionner aussi le fort degré d’intolérance qui sévit et fait des ravages dans la société colombienne. C’est-à-dire que le voisinage dans les quartiers de basse et moyenne classe a souvent été une question de survie en Colombie. Les voisins règlent leurs querelles avec des machettes et des couteaux. En Colombie, qui que vous soyez, vous pourriez perdre votre vie à n'importe quel moment, dans une banale discussion de trafic routier ou simplement pour s'être retrouvé près d'une scène de crime. Les femmes qui ne veulent plus continuer en couple avec leurs partenaires courent des sérieux risques de se faire tuer. Le taux de crimes passionnels dans ce pays est l'un des plus élevés du monde.

Pour rechercher la protection et la reconnaissance sociale, beaucoup de jeunes colombiens se réfugient dans les gangs de rue, qui ne sont pas à confondre avec les bandes mafieuses à la solde des trafiquants de drogue. Ce sont plutôt des jeunes ordinaires qui se solidarisent pour se donner du courage pour affronter le dur quotidien du quartier.

Il est important de trouver aussi un accord politique avec la guérilla du ELN.


Sur ce sujet de la culture de la violence on en parlera de longues nuits et des pages infinies, nous n’aurons pas fini d’épiloguer. Cependant, pour les lecteurs de la vieille école qui croient encore en l’importance du livre, je vous invite à suivre le livre-reportage de l’auteur américain Steven Dudley, intitulé "Armes y urnes: l’histoire du génocide politique" (2008).

Cette recherche journalistique, scrupuleusement détaillée, est teintée d’un talent artistique inégalé. L’auteur aborde le conflit armé en Colombie à travers l’histoire d’un parti politique appelé la Unión Patriótica, qui avait été littéralement exterminé sous les yeux indifférents de l’État colombien. Steven Dudley rappelle que la tradition de culture de violence en Colombie a pris ses racines depuis les années 1930-40, avec les violents règlements de comptes dans les milieux politiques et ceux des syndicats universitaires.

Quel avenir pour ces jeunes combattant des FARC qui doivent bientôt regagner la dure réalité des comunas(ghettos) de Medellín, Cali, Bogotá ou Barranquilla?


D’ailleurs lui-même Fidel Castro, ancien Guide la révolution cubaine, le corroborait dans ses mémoires lorsqu’ il relatait les événements du Bogotazo, dont il a été témoin en avril 1948. Lui qui était parti pour Bogotá assister aux congrès pour étudiants communistes et progressistes, affirmait avoir échappé de justesse à la mort suite au climat de violences politiques et l'anarchie qui régnait dans la capitale colombienne.

Que va-t-il arriver lorsque le processus de désarmement sera totalement finalisé et que chaque ex-guérillero va regagner sa ville ou son village natal?

Les Colombiens seront-ils suffisamment prêts et tolérants pour les pardonner et leur faciliter un retour à la vie normale?

Voilà deux questions clés qui, à mon avis, doivent trouver des réponses pertinentes auprès des pouvoirs publics et des partenaires privés du processus de paix.