Quel bilan tirer des presque cinquante ans de pouvoir de Fidel Castro à Cuba ? Alors que les hommages se succèdent se pose la question de l’héritage de l’ancien dirigeant cubain sur l’île et dans le monde. Pour ses soutiens, Fidel Castro a permis la réussite de la révolution cubaine et la pérennité de l’indépendance de l’île. Il incarne la résistance latino-américaine et tiers-mondiste à l’impérialisme des États-Unis mais aussi de grandes réformes internes comme celles de l’éducation et de la santé. Ses détracteurs retiennent le dictateur impitoyable qui a usé du pouvoir pour réprimer toute contestation. Voici ce que pense El Cubano, un des acteurs impartiaux du Castrisme et de son impact.
Le parque Vidal, au fond on retrouve cet imposant Hotel Santa Clara Libre. |
Cuba est une combinaison rare d'indicateurs sociaux des pays développés, mais avec des indicateurs économiques du Tiers-Monde.
Fidel Castro avait coutume de dire que la grande réussite de
la Révolution cubaine était le mérite d'avoir accompli tant de progrès en
matière sociale, alors que Cuba est un pays pauvre. Les progrès de la
révolution cubaine dans l'éducation, la santé publique, la sécurité et
l'égalité sociale sont des faits incontestables. Après la désintégration de
l'URSS dans les années 90, la qualité et l'efficacité des politiques sociales
se sont détériorés au fil du temps, mais, malgré tout, la plupart des
indicateurs sociaux ont montré une consistance surprenante, compte tenu de
l'ampleur du choc économique que le pays a subi. Par exemple, dans le classement
pour l'indice de développement humain, défini par le Programme des Nations
Unies pour le développement (PNUD), Cuba reste encore aujourd'hui en tête en
Amérique latine et dans les Caraïbes en matière d'éducation, et en deuxième position
pour le taux d'espérance de vie à la naissance.
Or, cette même réussite pourrait être considérée comme un
échec si on l'analyse sous un angle différent, et l'on se demande comment un
pays avec tous ces progrès extraordinaires dans le domaine social est un pays
si pauvre économiquement ? Ce sont précisément les réussites sociales les plus
difficiles à atteindre pour les économies qui viennent de loin et qui veulent
dépasser le seuil de la pauvreté, pour diriger leurs croissances vers un sentier
d'améliorations progressives et durables.
La santé publique, fleuron du système castriste. |
Prenons l’exemple des pays pauvres, mais avec une
forte croissance économique comme le Rwanda ou le Malawi. Ils obtiennent des
bonnes performances économiques, mais ces pays avaient déjà tellement de
problèmes que ces succès économiques ne peuvent pas résoudre leurs problèmes
sociaux. Par contre, Cuba l'a réussi et,
cependant, a maintenu des taux de croissance très faibles en plus de rester à
la traîne sur le plan économique par rapport aux autres pays de la région. C’est
ce qui est difficile de comprendre.
Si l'on compare l'île avec 10 pays de taille similaire dans
la région (avec une population comprise entre deux et 16 millions d'habitants)
dans la période 1960-2014, on constate que le PIB cubain a augmenté à un taux
annuel moyen de 3,3% , alors que la moyenne de ces économies émergentes était
de 4%, avec le Panama (5,8%), République dominicaine (5,3%), Costa Rica (4,8%)
et de l'Équateur (4,5%).
Cela a poussé plusieurs analystes, détracteurs du Castrisme,
à dire que dans les années 50 Cuba était déjà un des meilleurs en Amérique
latine pour tous les indicateurs sociaux vantés par Fidel Castro. Ils
soutiennent qu’en 1950 Cuba et l’Uruguay étaient les pays les plus alphabétisés
de l’Amérique latine. Ces affirmations sont probablement vraies. Cependant,
remarquez qu’il est toujours facile pour les économistes illuminés, avec leurs
gros livres et des petites lunettes rondes, de se cacher derrière les
statistiques et les théories. Mais la vraie réalité, il faut la vivre sur le
terrain.
La ville historique de Trinidad(province de Sancti Spíritus), une des destinations touristiques les plus prisées de Cuba. |
Moi El Cubano, auteur de cet article, je ne suis pas un
citoyen cubain ni un partisan du communisme. Mais j’ai vécu dans ce pays
pendant 14 ans et je connais bien quelles sont les infrastructures de base de
ce pays qui datent d’avant ou après la Révolution castriste. Dans le secteur de
l’éducation, à part les anciennes universités de la Havane, l’Université
orientale de Santiago de Cuba et l’Université centrale Marta Abreu de Las
Villas, toutes les autres universités restantes(une douzaine), y compris la prestigieuse École
Polytechnique des ingénieurs de la Havane(CUJAE), furent construites sous le
régime des frères Castro.
Je ne tiens même pas compte des fameuses écoles de médecine, fleuron de la révolution cubaine, qui existent dans chaque province du pays. Toutes ces universités possèdent des campus et des résidences estudiantines, avec des cafétérias, des installations sportives, des bibliothèques, des cliniques médicales et tous les services que vous trouvez en ville.
Je ne tiens même pas compte des fameuses écoles de médecine, fleuron de la révolution cubaine, qui existent dans chaque province du pays. Toutes ces universités possèdent des campus et des résidences estudiantines, avec des cafétérias, des installations sportives, des bibliothèques, des cliniques médicales et tous les services que vous trouvez en ville.
École des Médecines de Santa Clara. Chaque province de Cuba possede une école comme celle-ci pour former les professionnels de santé locaux |
J’ai voyagé pas mal
dans les pays du bassin des Caraïbes. Quand je dis bassin des Caraïbes, je ne
me limite pas qu’à la République Dominicaine, Panama et les petites îles des
Antilles. Je me réfère aussi au géant Mexique avec toute son industrie, à la
grande Colombie avec tout son capital humain ou du Venezuela avec ses énormes gisements de pétrole. Mais je peux affirmer que le programme cubain et sa réussite
sociale sont uniques en Amérique latine.
Ce que je peux résumer comme héritage de Fidel Castro, en plus de l’éducation gratuite du peuple, viennent dans les quelques points suivants :
La couverture de santé gratuite pour les Cubains
La couverture de santé est totale et gratuite pour les
Cubains et étudiants étrangers résidant dans les internats. C’est vrai que les Cubains souffrent beaucoup à cause de l’embargo américain, car les produits de première
nécessité et les médicaments rentrent difficilement dans le pays, mais ce qui
est disponible est bien utilisé et reparti dans un intérêt de tous. Souvent
lorsque j’évoque les succès du système cubain comparé au Canada, les médecins canadiens aiment relativiser en mentionnant la mauvaise qualité des équipements
et du personnel médical cubain comparé aux normes des pays développés.
C’est peut-être vrai car si l’on compare les technologies entre les deux pays la différence est grande. Mais que vaut la qualité des soins lorsqu’au Québec le temps d’attente moyen du patient dans un centre d’urgence médicale est de 5h ? 5h est un temps d’attente des hôpitaux des pays pauvres qui manquent de personnel, je m’excuse pour les professionnels canadiens de santé, mais à Cuba le temps d’attente moyen dans un hôpital est de 40 minutes.
Civamax, le vaccin cubain contre le cancer des poumons gratuit pour le peuple. |
C’est peut-être vrai car si l’on compare les technologies entre les deux pays la différence est grande. Mais que vaut la qualité des soins lorsqu’au Québec le temps d’attente moyen du patient dans un centre d’urgence médicale est de 5h ? 5h est un temps d’attente des hôpitaux des pays pauvres qui manquent de personnel, je m’excuse pour les professionnels canadiens de santé, mais à Cuba le temps d’attente moyen dans un hôpital est de 40 minutes.
Étudiants de la Cujae, une école polytechnique de la Havane qui forme les plus brillants ingénieurs du pays gratuitement. |
Que vaut la qualité de soins lorsque se faire enlever une
dent dans une clinique dentaire en Ontario peut vous coûter 1200$, alors que la
même opération est gratuite à Cuba ? Je me suis déjà fait enlever la dent dans les deux pays, heureusement pour moi qu’à chaque fois se sont mes
assurances privées qui ont fait la différence au Canada. Mais les Canadiens qui ne
possèdent pas des assurances privées doivent payer très cher pour les soins
dentaires, car ceux-ci ne sont pas couverts par les régies d’assurances
maladies publiques.
La pérennité de l’indépendance cubaine
Soldats cubains en Angola lors de la bataille de Carlota. |
Fidel Castro a conquis
le monde. Il a tout simplement fait les choses selon sa volonté et celui de son
peuple, mais pas pour plaire aux puissances occidentales comme le fait Sassou Nguesso au Congo par exemple. Après avoir beaucoup
travaillé, se sentant fatigué, Fidel a simplement laissé le pouvoir aux mains de son frère
cadet et a attendu sa mort tranquillement dans son lit. Il est parti en
laissant derrière lui un système et une diplomatie solides, avec une armée de près de 500
000 militaires, parmi les mieux disciplinés et entraînés du monde.
Grâce à Fidel Castro, un pays comme l’Angola a pu se libérer de l’invasion
de l’armée sud-africaine et des groupes nébuleux soutenus par le régime de l’apartheid. En
effet, l’intervention de l’armée cubaine en Angola fut décisive pour sauver le
MPLA et le pouvoir du président Eduardo Dos Santos, en même temps l’aide
militaire à contribuer à forger l’esprit guerrier des soldats angolais.
La solidité de son
système a donné à son pays une meilleure image et une sympathie au sein des
pays du tiers monde. Avant la révolution, Cuba était certes riche et prospère,
comme le soutiennent certains, mais cette île était aussi reconnue comme le
casino et la cour arrière des américains qui leur offraient des prostituées et
des gigolos en masse. C’est Fidel Castro qui est venu changer cette image des
Cubains, en les présentant comme un peuple plutôt fier et travailleur.
La sécurité et la tranquillité
La police cubaine est toujours alerte et proche du peuple. |
En 1993, alors que jetais à ma dernière année du collège pré
universitaire, je discutais avec mon professeur de physique dans un couloir sur les
problèmes de violences aux USA. Il m’avait dit une chose qui m’avait beaucoup
marqué et qui aujourd’hui s’est révélé être une prophétie de ce brillant
professeur. Il me dit que Bill Clinton (le président américain de l’époque)
pouvait venir à Cuba et se promener dans les rue sans garde du corps et rien ne
se passera. Je me disais qu’il délirait parce qui il prenait l’exemple d’un fait
qu’il savait techniquement impossible au fond de lui : aucun président
américain ne mettra les pieds à Cuba avant 30 ans, soit avant la fin du socialisme.
Vous savez quoi ? En 2016, Obama, son épouse et ses deux
filles viennent juste de le faire dans les rues de la vieille Havane, sous la
pluie et sans gardes du corps visibles aux alentours ! Mon professeur avait raison !
La sécurité à Cuba est une responsabilité collective du gouvernement et du peuple aussi. Les
CDR(Comité de défense de la révolution) et les membres du partis sont implantés
jusque dans les coins les plus reculés du pays. Ils sensibilisent les
populations sur les questions de sécurités et la tolérance dans le voisinage, en même temps ils sont les
yeux et les oreilles des organes de la Sécurité d’état. Cette structure de sécurité complexe établi
par les Castro rend presque impossible la formation des gangs de rue dans les villes, comme ce que l’on retrouve partout en Amérique latine. Si on remarque quatre ou plus individus qui se
tiennent toujours ensemble, ils deviennent rapidement la cible des CDR et de la
police secrète. Cela va même au-delà de la sécurité
physique.
Fidel Castro prend son repas avec des soldats cubains dans un campement de la Sierra Maestra. |
En tant qu’étudiants étrangers, nous n'étions pas trop familiarisés avec les rouages de la rue cubaine et ce sont des simples citoyens anonymes qui
nous avertissaient souvent des possibles dangers ou des fréquentations à risque.
Je me rappelle une nuit lors d’un carnaval à Santa Clara, j’ai croisé trois copains angolais de mon université. Ils étaient tous arrosés et accompagnés de belles jeunes cubaines. On a jasé un petit peu puis ils ont continué leur chemin parmi la foule. Un cubain qui ne se tenait pas loin de nous, avec sa copine, est venu me dire de rattraper mes copains et leur souffler à l’oreille de faire très attention parce que l’une de ces filles était atteinte du VIH. Dans son quartier c’était connu de tous qu’elle se rendait régulièrement prendre les soins gratuits administrés dans un centre médical adapté pour ces patients. Avait-il raison ou non ?
Je me rappelle une nuit lors d’un carnaval à Santa Clara, j’ai croisé trois copains angolais de mon université. Ils étaient tous arrosés et accompagnés de belles jeunes cubaines. On a jasé un petit peu puis ils ont continué leur chemin parmi la foule. Un cubain qui ne se tenait pas loin de nous, avec sa copine, est venu me dire de rattraper mes copains et leur souffler à l’oreille de faire très attention parce que l’une de ces filles était atteinte du VIH. Dans son quartier c’était connu de tous qu’elle se rendait régulièrement prendre les soins gratuits administrés dans un centre médical adapté pour ces patients. Avait-il raison ou non ?
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Je n’ai pas pensé deux fois et je suis allé vite passer le
message. Voilà la force de la sécurité collective de la société cubaine
développée par le socialisme castriste. Tout le monde se connait, tout le monde se parle. Qui est visiteur, qui
est sorti de prison, qui a déjà volé ou tué, tout le monde le connait. Le reste
c’est à la police de faire son travail.
Les Cubains sont pauvres, pour ça il faut le reconnaître.
Castro malgré tous les plans et les œuvres sociales qu’il a vantées, a laissé
un pays exsangue économiquement. Nous n’allons pas non plus tout rejeter sur la
faute du blocus américain, car les frères Castro aussi ont leur part de responsabilité.
Ils auraient pu réussir leurs programmes économiques s’ils savaient déléguer
les pouvoirs. Mais leurs egos pour tout contrôler étaient trop forts pour le
permettre. Les 50 ans de ce régime ont laissé des traces de fatigue assez
visibles partout dans le pays, les bâtiments devenus vétustes, des maisons et même des
personnes. Le visage du pays n’a pas beaucoup changé depuis 1950. Seul le
charme des eaux douces des Antilles, avec un climat chaud et sec, restent pour
aromatiser un secteur de tourisme toujours en forme. Mais Cuba à besoin du
renouveau, ce pays a besoin d’importants investissements et d’ouverture pour
moderniser les infrastructures de télécommunications.
La Habana vieja |
Fidel Castro n’a jamais été intéressé à ce
que le pays soit ouvert au monde via les technologies des informations, afin de
mieux contrôler l’information entrant dans le pays. Cet ego des dirigeants cubains continue d’être un gros
facteur contre le développement économique de l’ile. Il faut aussi préciser que même cette éducation gratuite, tant vantée par Fidel Castro, est en retard au point de vue qualité pour faute d'ouvertures avec l'extérieure. Ce qui explique que plusieurs ingénieurs et médecins cubains qui ont immigré en Floride se retrouvent comme employés des épiceries ou de chantier de construction. Que vaut aujourd’hui un ingénieur de logiciels gradué avant 2006 et qui ne possede pas des connaissances sur la programmation des plateformes Android, Mac iOS ou Node-js?
Par exemple, en 2003, les étudiants cubains de génie électronique utilisaient encore les modèles mathématiques du programme spatial russe des années 60, pour optimiser les cartes de mémoires des processeurs de fréquences.
Par exemple, en 2003, les étudiants cubains de génie électronique utilisaient encore les modèles mathématiques du programme spatial russe des années 60, pour optimiser les cartes de mémoires des processeurs de fréquences.
En 2018, lorsque Raul Castro aussi va quitter le pouvoir, ce
sera complètement la fin du castrisme. Il sera important que le parlement
cubain vote des nouvelles lois et mesures pour lutter contre le vieillissement
de la population cubaine. Le pays doit s’ouvrir à l’immigration. De nos jours,
il est impossible d’obtenir la nationalité cubaine pour un étranger, alors que Cuba
souffre de l’évasion des cerveaux et du faible taux de natalité. Ce pays qui
n’est pas encore surpeuplé, a besoin des bras frais pour revitaliser son
économie. Il y a encore de l’espace pour accommoder 6 millions d’immigrants en
espace de dix ans dans les nombreuses îles et îlots que forment cet archipel en
forme de crocodile.
Cependant, malgré son vieillissement et ses problèmes
économiques, Cuba n’a rien à envier aux autres pays latino-américains.
On dit souvent que nul n’est prophète chez soi. Attendons que Cuba devienne
comme les autres pays de la région pour juger.
Il n' y a pas de gangs de rue chez Castro, la police est en contrôle de tout. |
Par exemple en Colombie, cet enfer qui ne compte plus le nombre de massacre de ses paysans exécutés par des escadrons de
la mort, ce pays où la culture de l’extorsion est devenue un phénomène banal ;
Le Venezuela qui est devenu en état de guerre sans pourtant identifier les
belligérants ; le Honduras et le Salvador ravagés par les gangs de rue du M-13
; le Mexique qui est en train de vivre sa propre période des grands cartels de la drogue ; le Brésil où
les voleurs de la rue ont fait la chasse aux touristes pendant les Jeux
olympiques de Rio 2016 en plein jour et au vu de tout le monde ; que dire de la
République Dominicaine qui est devenue la cour des prostituées pour les gringos de toute sorte ?
Bref, quand les cubains voudront vivre comme leurs frères
latino-américains, c’est à ce moment qu’ils feront le vrai bilan de cet
héritage légué par Fidel Castro.
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